Le 30/10/2025 à 23:22:12
Étienne Davodeau revient avec « Là où tu vas » à la BD documentaire, un genre qui a taillé son succès. Cet album est la concrétisation d’un projet qu’il avait en tête depuis des années : aller à la rencontre de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer, en suivant sa femme, Françoise, dans son quotidien d’infirmière accompagnante auprès de malades. Une démarche intéressante qui compile des témoignages édifiants. Le lecteur en apprend un peu sur la maladie, mais beaucoup plus sur les différents moyens à utiliser pour maintenir l’autonomie des personnes touchées. Tout au long du livre, l’accent est mis davantage sur la prise en charge que sur les personnes elles-mêmes. Et c’est à ce niveau-là que le travail d’Étienne Davodeau touche à ses limites. En effet, quand on connait sa bibliographie, on sait que c’est plutôt quelqu’un d'engagé, de militant. Son regard et son discours sont donc souvent biaisés, car surjoués, entièrement acquis à la « cause » qu’il défend. Il a du mal à faire preuve d'objectivité. On le voit bien dans « Le droit du sol », dont le positionnement obstinément unilatéral m’avait franchement déplu. Pour moi, son propos était complètement démonétisé par cet esprit partisan, à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. Car tout ce qui aurait pu lui apporter un début de contradiction avait été méthodiquement exclu du bouquin. Idem dans « Les ignorants », où sa présentation de Richard Leroy était si élogieuse qu’elle en paraissait caricaturale. Tout ce que faisait, disait, pensait ce brave vigneron était au-dessus du commun des mortels. Il était dépeint comme une espèce de surhomme, jouissant de toutes les qualités, ayant compris toutes les lois de l’univers, ne pouvant faire que le meilleur vin du monde. Dans une moindre mesure, c’est un peu pareil dans « Là où tu vas ». Davodeau focalise exclusivement sur Françoise, au détriment de ses patients. Il décrit l’action de son épouse comme exemplaire, fruit d’une sagesse hors-norme et d’une bienveillance infinie. Attention, je ne dis pas que c’est faux. Je suis convaincu que cette dame est une excellente professionnelle ; sa déontologie et son expérience humaine ne faisant aucun doute. Cependant, il est tout aussi évident que son auteur de mari a soigneusement trié ce qu’elle a pu lui dire pour ne servir que son propos à lui. Cette forme de partialité, typique de son style, se ressent constamment. Jamais on ne la voit douter. Chaque mot qu’elle emploie est à la bonne place. Elle ne se trompe jamais… Et quand « Ça ne marche pas toujours », comme s’intitule le seul chapitre où elle « échoue », elle n’y est évidemment pour rien. Les trois seuls exemples cités montrent bien que c’est la faute de la famille, de l’aidant, ou pire, de l’emprise qu’avait le méchant mari sur la femme. Bref, vous voyez l’idée. Quand on travaille avec de l’humain – j’en sais quelque chose, croyez-moi – l’équilibre est toujours fragile. On ne contrôle pas tout, loin de là, et la charge émotionnelle est intense. De nombreux soignants, qui rament au quotidien, pourraient presque se sentir dévalorisés à la lecture d’un tel album. Par ailleurs, Étienne et Françoise ont l’air de vivre dans d’excellentes conditions matérielles et socioculturelles, à la campagne, dans un environnement préservé et apaisé. Grand bien leur fasse. Mais c’est rarement le cas chez les personnels soignants ordinaires, particulièrement sous-payés, qui n’ont pas la chance de bénéficier de telles conditions d’exercice. Cet aspect n’est jamais évoqué dans l’album. Apparemment, ce n’était pas l’intention d’Étienne Davodeau qui n’a souhaité parler que de sa femme et pas du tout de la profession. Un peu dommage car même si Françoise est admirable, cela restreint clairement l’intérêt de l’ouvrage. « Là où tu vas » reste un album solide et instructif mais il aurait été sans doute bien plus pertinent s’il avait laissé la place à la nuance, aux gens, à l'émotion, aux failles inhérentes au métier. Et surtout, s’il s’était un peu décentré de ce nombrilisme, hélas récurrent chez son auteur. Je ne regrette pas mon achat mais je ne me sens plus en phase avec lui.BDGest 2014 - Tous droits réservés