Résumé: Ça devient bien compliqué, cette forêt ! Avant, chacun profitait simplement de son « doux foyer, de son home sweet home, dans le tronc d'un noyer, dans un trognon de pomme. Deux-trois papiers dûment tamponnés par le notaire maître de Garenne plus tard, et plus rien n'est à tout le monde, tout est à quelqu'un ! Propriétés privées, clôtures, alarmes, péages, fils barbelés... Le Loup ne peut plus aller au marché sans escalader une barrière, éviter des coups de balai et payer trois sous pour un plongeon bien involontaire : « pas de pépettes, pas de trempette ! » Si ça continue, il va falloir payer pour respirer...
Entre Madame la Chouette qui prend un peu de hauteur depuis sa branche et une chocotte de la tête qui s'excite, tout ceci ne va pas plaire bien longtemps à notre Loup en slip...
La forêt (le monde ?) ne tourne pas rond. Non, Robert l'Écureuil, il ne suffit pas d'avoir plein de noisettes pour tout posséder. Et, oui, l'espace public et la notion de bien commun existent. Une écriture ciselée et un humour ravageur pour parler philo et société, un dessin ultra expressif pour enchanter tous les lecteurs, de 4 à 104 ans : revoilà donc Wilfrid Lupano, Mayana Itoïz et notre Loup en slip !
D
ans la forêt, quelle que soit la saison, se la couler douce est la règle. Lorsque Maître de Garenne, notaire de son état, débarque, la quiétude généralisée s'en trouve ébranlée. Le lapin fait le tour des habitants pour leur délivrer (contre rémunération, évidemment) un titre de propriété. Un simple papier, rigoureusement tamponné, qui établit en bonne et due forme les limites des parcelles de chacun·e. Le Loup en slip est bien embêté, car le voilà qui ne peut même plus se rendre au marché sans empiéter sur le lopin de ses voisins ! Mais les choses prennent une tournure encore plus problématique lorsque l'écureuil Robert décide d'acquérir tous les arbres et de monnayer l'air qu'ils produisent.
Rendez-vous désormais régulier à l'automne (seule l'année 2024 n'ayant pas eu son opus), le Loup en slip revient pour une neuvième représentation (chaque tome étant une pièce du théâtre de Sophie, personnage des Vieux fourneaux). Le cocktail reste invariablement le même : des planches colorées et foisonnantes de détails, une joyeuse galerie de personnages, de l'humour à chaque coin de page et un sujet de société abordé en creux de l'histoire. Après le partage des richesses (Le loup en slip se les gèle méchamment), la surconsommation (Le loup en slip dans cache-noisettes), ou encore le rigorisme de la langue (Le Lou en slip et le mystère du P silencieux), Wilfrid Lupano se penche cette fois sur la question de la propriété privée. Le concept est évidemment inconnu des vers de terre, oiseaux et autres ratons qui peuplent le bois. Mais il séduit rapidement les esprits… avant de prendre une tournure démesurée. Les questions pointent rapidement le bout de leur nez. Toute chose peut-elle être privatisée ? N'y a-t-il pas des biens communs qui ne doivent appartenir à personne… et donc à tout le monde ?
Pour les adultes, le sous-texte est évident. Cela va moins de soi pour le jeune lectorat. Et c'est bien là tout l'intérêt de cette série. Happés par les décors soigneusement travaillés par Mayana Itoïz – débusquant chaque petit gag dans les planches – et embarqués dans une aventure comique, les bédéphiles en herbe sont confrontés, sans même s'en rendre compte, à des thématiques bien plus consistantes. Les auteurs plantent ainsi les graines de réflexions plus profondes qui mûriront à leur rythme dans l'esprit des enfants (à qui est principalement destiné l'album). Ils offrent aussi une belle occasion d'ouvrir des discussions, notamment dans le cadre d'une lecture accompagnée.
Critique suffisamment franche et subtile à la fois de l'un des fondements du capitalisme, Les lopins du lapin est un nouveau tome réussi !