Shin Zero 1. 1/3

E n 1995, un puissant Kaiju, surnommé King Zero, dévaste tout sur son passage. Après un combat dantesque, il est vaincu par le justicier Red Striker. Les héros coloré sont alors au sommet de la gloire et les monstres vaincus n'apparaissent plus sur Terre. Vingt ans après, la société utilise toujours les sentai mais de manière intérimaire, pour des petits boulots en tant que videurs ou technicien de surface. Bien que précarisé, le métier attire des jeunes en quête d'argent pour financer leurs études ou payer le loyer. C'est le cas d'Héloïse. Quittant le lycée pour découvrir la vie étudiante, elle souhaite ainsi s'émanciper financièrement de ses parents. Son ami Warren a quant à lui obtenu une bourse d'études en raison de ses capacités. C'est pour faire plaisir à sa camarade dont il est épris qu'il va lui aussi rentrer dans l'univers des héros intérimaires, alors que son père, passé par là, lui déconseille. La rencontre avec Satoshi va leur faire vivre une nouvelle aventure.

À la lecture de ce premier tome, pas de doute : les auteurs sont des amoureux du Tokusatsu, ce genre cinématographique et télévisuel japonais qui arriva en France à la toute fin des années 1970 sous les traits de San Ku Kai, de Space Sheriff Gavan (renommé à l’occasion X-Or) ou encore Bioman. D'ailleurs, les deux dernières pages offrent un récapitulatif passionnant de l'histoire de ce style et de ses grands noms.

Celui qui considère Shin Zero comme un simple reboot ou une resucée d'intrigues vues et revues a tort. Avec ce scénario, en utilisant et en détournant les codes des séries super sentai, Mathieu Bablet propose un lot de réflexions pertinentes sur la société. Lorsque l'histoire débute, cela fait plus de vingt ans que les monstres ont cessé d'attaquer l'humanité. Or, le succès des héros colorés les a rendus populaires au point de marquer les générations suivantes. Hélas, n'ayant plus d'adversaires à la hauteur, il ont été contraints de s'adapter à la demande. Ici, la critique de l'auteur vis-à-vis de la déclassification sociale et de la chute de statut est claire et amenée avec subtilité, en filigrane. Le scénariste souligne également le merchandising qui a accompagné la popularité des sentai. Le moindre paquet de gâteau ou boisson est estampillé de logos ou de dessins en lien avec les exploits passée : l'analogie avec la société de consommation actuelle est criante.

Loin d'être valeureux et courageux, les justiciers sont fauchés et perdus. Ainsi, le père de Warren dont le lecteur devine au fil des pages les antécédents glorieux, est devenu bedonnant et reste avachi sur son canapé avant de reprendre son travail à l'usine. Le voir ainsi laisse son fils aîné amer. Quittant le lycée, Héloïse et lui découvrent le monde des études supérieures et des galères qui vont avec. Mathieu Bablet traite également de certaines dérives des réseaux sociaux, en lien avec la sexualité. En effet, Héloïse trouve amusant de poster des photos d'elle dans son costume en adoptant des poses lascives. Progressivement, des internautes lui demanderont plus...

La colocation est le moyen de découvrir d'autres personnages, tout aussi développés que les protagonistes principaux pour aboutir à un panorama large de la jeunesse d'aujourd'hui, allant de l'idéaliste à la mère célibataire. Cette pluralité de réalités sociales engendre des moments d'incompréhension entre les nouveaux amis et parfois de tensions. L'auteur parvient à trouver l'équilibre parfait entre description sociale et histoire d'aventure, illustrée par une menace surgissant au cours dernier tiers du tome. Les multiples intrigues deviennent rapidement addictives tant elle sont bien écrites et mises en images.

Guillaume Singelin s'amuse dans cette série et peut mettre noir sur blanc toute l'imagerie des Kaiju. Les passages dévoilant le passé sont propices à de scènes de combats jubilatoires et réalisées sans faute aucune. Les planches fourmillent de détails, les décors sont construits avec précision. L'approche réaliste concerne tout autant les personnages humains, le récit se rapprochant davantage encore de la tranche de vie que de la science-fiction, ce qui est un élément de base dans le sentai. La construction des planches est efficace, jouant de tous les plans possibles en fonction des besoins du scénario. Bien qu'étant en noir et blanc, Shin Zero bénéficie d'éléments colorisés : les tenues de travail.

Ce premier tome promet une série riche et passionnante. Servie par de superbes dessins, Shin Zero est à la fois un hommage et une relecture contemporaine des séries sentai. À lire absolument !

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