Au cœur du désert

K ansas, 1870. La guerre de Sécession appartenant au passé, les États-Unis connaissent une certaine accalmie. Mais pas partout ; Adam Pyle, un ancien soldat pilote un groupe d’Amérindiens rebelles sévissant en Arizona et en Utah. Les militaires commandent à son frère, Norman, de s'y rendre pour tenter de le raisonner. Le voyage n'est pas de tout repos dans cet ouest profond, où les tensions demeurent vives. Tous ont les nerfs à fleur de peau et une situation en apparence banale peut aisément se terminer dans un bain de sang.

Vieux routiers du neuvième Art et habitués des sagas historiques et exotiques (China Li, India Dream, Africain Dreams), Maryse et Jean-François Charles reviennent en Amérique (décor des Pionniers du Nouveau Monde) où ils transposent la trame d'Au cœur des ténèbres, le roman de Joseph Conrad. Et ça fonctionne plutôt bien.

D’emblée, le lecteur constate que le projet coche toutes les cases d’un genre hyper codifié : cow-boys et Indiens, bons et méchants, bagarres, chevaux, désert ou colt, tout y est. Mais il y a plus. Au-delà de sa mission, le héros poursuit une quête personnelle et intérieure, celle de guérir de la blessure que lui a infligée l’indifférence de son frère, lequel l'a toujours ignoré, alors qu’il aurait dû le protéger d’un père brutal. Délinquant et bagarreur, l’aîné finit par couper les ponts avec sa famille pour rejoindre les rangs de l’armée où sa violence est canalisée et récompensée d’une décoration.

Le récit alterne entre le périple parsemé d’embûches et les souvenirs d’une enfance à l’ombre du premier-né. Le rythme, lent, met doucement en place l’affrontement annoncé entre les frangins. Deux conflits sont à résoudre : un bandit demande à être neutralisé et les tensions d’une dynamique familiale malsaine doivent être dénouées.

Le dessin se révèle magnifique. Réalisées à la peinture sur papier toilé, chacune des vignettes ressemble à un petit tableau. L’artiste évoque l’influences des peintres réalistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, par exemple celles de Harold Von Schmidt et de Frederic Remington.

Les grands espaces désertiques de l’ouest, magnifiquement rendus, se prêtent à des illustrations occupant une planche complète, voire deux (John Ford ne disait-il pas que les héros de ses films étaient les paysages ?). Bien que certains visages apparaissent parfois flous, il se dégage beaucoup d’émotion des personnages, lesquels jouent toujours juste.
Alors que nombre de bédéistes adoptent la tablette graphique, il est agréable de constater que le travail à l’ancienne a toujours sa place.

Chapeau à l’excellent dossier en fin d’album. Le lecteur y découvre les inspirations du projet, les enjeux de la création du scénario et celle du travail graphique.

Un incontournable pour les aficionados du western… et pour les autres, amateurs de bandes dessinées de qualité.

Moyenne des chroniqueurs
8.0