Astérix 41. Astérix en Lusitanie
U
ne nouvelle aventure d’Astérix et Obélix est une madeleine. De celles qui, plus jeune, se savouraient avec délectation en découvrant l’art du jeu de mots avec « Petibonum », l’incongruité à faire rimer « sternum » avec « pilum », ou encore qu’Annie Cordy fût belge ! Hier apprécié avec gourmandise, chaque album est maintenant froidement disséqué, pesé, analysée et comparé… à l’aune de valeurs et d’injonctions qui n’avaient pas cours du temps de ses pères créateurs. Reflet d’une époque révolue, le petit Gaulois doit faire comme si… alors que tout est différent ! À l’impossible, nul n’est tenu.
Fort d’un propos introductif, un brin... mélancolique, qu’en est-il de ce périple lusitanien pour un lecteur qui n’aurait pas oublié que ses ancêtres étaient Gaulois ?
Pour l’heure, Fabcaro et Didier Conrad connaissent à l’évidence leur cahier des charges. Leur credo est donc d’évoquer les particularismes européens sans stigmatiser, plaire aux plus âgés de toutes latitudes sans heurter les convictions du moment, jouer gentiment et avec discernement sur les mots, travailler les anachronismes avec les humeurs du temps… Plaire au plus grand nombre sans s’attirer les foudres d’une minorité est désormais le leitmotiv de tout éditeur, car la société évolue et il faut acter le changement… sans en subir le diktat. Soit ! Mais les grandes œuvres sont-elles consubstantiellement consensuelles ? Quoi qu’il en soit, si un tel carcan - dans l'air du temps - pourrait être perçu comme une forme d’entrave à la créativité (voire d’autocensure), il oblige Fabcaro, en quelques fulgurances, à ciseler un second degré digne de René Goscinny, quitte à le réserver à ceux et celles capables de le déceler au détour d’une case ! Côté graphique, tout a déjà été dit (et doctement analysé) sur le dessin de Didier Conrad. S’il a su faire sien un trait magistralement défini par un autre, il subsiste cependant toujours quelques petites choses, de-ci de-là, qui contrastent avec la minutie d'Albert Uderzo. Rien de grave en soi, ni de rédhibitoire, juste une progressive dichotomie dans la galerie des personnages ou des variations dans le traitement des décors qui illustrent la prise en main de Didier Conrad sur la cosmogonie astérixienne !
Astérix en Lusitanie perpétue la tradition sans démériter, mais sans toutefois la transcender. Il lui manque pour cela un rien de (vraiment) transgressif et un coup de crayon qui n’existe plus. Il suffit de l’accepter pour en faire son deuil et apprécier cet album pour ce qu’il est : un grand moment éditorial rassemblant petits et grands autour de l’un des piliers du 9e Art.
6.6



