Flatland Flatland - Aventure fantastique…
C
ela faisait longtemps qu’il voulait visiter Flatland, cette énigmatique région lointaine dont personne ne sait grand-chose. Accueilli par Mr. Carré, un bourgeois à la réputation et aux côtés parfaits, une visite guidée est derechef organisée. Heureusement d’ailleurs, ce pays est tellement différent du nôtre qu’il aurait été particulièrement difficile de le comprendre sans aide. Pensez-vous, un monde doté de deux dimensions seulement et peuplé de formes géométriques uniquement visibles sur la tranche. Comment fonctionnent les relations sociales, la religion ou la politique ? Tant de questions auxquelles le sympathique quadrilatère va aimablement répondre. De plus, s’il reste du temps, celui-ci nous parlera également d’autres contrées et lieux pas moins étranges de ce coin de l’univers.
Publié en1884, Flatland est un petit roman satyrique signé d’Edwin A. Abbott, un prêtre et professeur de mathématique reconnu. Son texte, sous couvert d’une fable géométrique, s’attaquait aux fondements de la société victorienne : les classes et la ségrégation des sexes, en particulier. Passé inaperçu à sa parution, l’ouvrage connu une petite notoriété quarante ans plus tard, au moment où les travaux d’Albert Einstein avaient mis en avant le concept de 4e dimension. Œuvre de niche un peu datée (cf. plus bas), Flatland est aujourd’hui considéré comme un précurseur de la science-fiction (au sens large).
Compte tenu de la nature très visuelle du récit, une version en bande dessinée se montre tout à fait adaptée. Danicollaterale s’est emparé de ce conte très frontalement, avec beaucoup d’enthousiasme. Il en ressort un album expérimental, qui rappelle immédiatement La couleur des choses de Martin Panchaud. En effet, les personnages se résument à des polygones, des lignes ou des points qui se déplacent de droite à gauche, le tout dans des cases aux décors au mieux schématiques. Pour suivre les évènements, la narration est animée par les échanges entre le visiteur et son hôte.
Sans être véritablement austère, l’atmosphère générale nécessite néanmoins un petit temps d’acclimatation pour s’apprécier pleinement. Car oui, il va falloir pas mal de concentration afin de suivre cette description en règle des traditions et autres usages de ce plat pays (!). Dotées d’une logique implacable - Abbott était mathématicien rappelons-le - les explications utilisent énormément le langage de la science pour raconter et décrire ce succédané du Royaume-Uni.
Danicollaterale a choisi de rester très près du texte d’origine. Cette fidélité est honorable, mais ne peut cacher la distance existante entre la fin du XIXe et le le début du XXIe siècle. Si les inégalités et les partis pris sexistes ont, malheureusement, encore une résonance, le rythme et le style employés font qu’il est impossible de ne pas constater l’âge des propos. L’auteur de Je suis charrette l’a bien perçu et s'est senti obligé de glisser quelques petits gags ici et là pour tenter de donner un peu de peps à ses planches. L’idée est louable, sans être vraiment convaincante.
Très belle version d’un semi-classique à l’aura certainement plus brillante que sa réelle valeur littéraire, ce Flatland en BD s’avère être impressionnant. Sur le fond, le scénariste a impeccablement retranscrit l’esprit et la volonté critique d’Abbott. Visuellement, le résultat est aussi à la hauteur (façon de parler) : clair, précis et nettement moins aride que le rendu pourrait le suggérer. La translation d’un médium à l’autre est réussie. Bravo.
7.0


